Diversifier les modes de rémunération pour accompagner l’évolution des missions du médecin généraliste
Propositions adoptées par le Conseil d’Administration de ReAGJIR Avril 2019
JUSTIFICATION
OBJECTIFS
CONTEXTE
PROPOSITIONS
Pré-requis – Une rémunération accessible à tous les types d’exercice / Une rémunération qui doit être également perçue par les remplaçants / Éviter les formalités administratives / simplifier le système / Rappeler le rôle pivot du médecin généraliste / Cotation / Forfaits / Structures coordonnées
Les propositions : à chaque mission son mode de rémunération
CONCLUSION
Annexe 1 : tableau comparatif acte, capitation et salariat
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JUSTIFICATION
Durant l’année 2015, le Conseil d’Administration de ReAGJIR a adopté trois documents de propositions[1] détaillant les évolutions souhaitables des modes de rémunération des médecins généralistes :
- Une rémunération adaptée aux rôles du médecin généraliste de premier recours (janvier 2015) ;
- Diversifier les modes de rémunération : des forfaits adaptés à chaque structure de soins (juin 2015) ;
- Diversifier les modes de rémunération : amélioration du dispositif de Rémunération sur Objectifs de Santé Publique (juin 2015).
Les propositions évoquées ont été très largement reprises dans les travaux menés par la task force « réforme du financement du système de santé » sous l’égide de Jean-Marc Aubert.
Dans le cadre de la loi Santé 2022, ce dernier a publié le 29 janvier 2019 un rapport intitulé « Réformes des modes de financement et de régulation : vers un modèle de paiement combiné ». Ce rapport marque le point de départ d’une large concertation devant aboutir à faire évoluer nos modes de rémunération d’ici 2022.
Ce document de propositions a pour objectif de mettre à jour les propositions de ReAGJIR concernant la rémunération des médecins généralistes afin de participer, dans les prochains mois, aux travaux de mise en œuvre des préconisations du rapport Aubert.
OBJECTIFS
Le rapport Aubert décrit une évolution des rémunérations liée à l’évolution du métier de médecin généraliste. Il promeut un panier de financement diversifié instaurant plus de rémunérations au forfait, selon des critères de qualité, d’organisation et de patientèle, tout en gardant une part de financement à l’acte. Il introduit par ailleurs la notion de financement à l’épisode dont on ne sait pas encore s’il inclura la médecine générale et dans quelle proportion.
CONTEXTE
Les différents modes de rémunération sont la capitation, le forfait, le paiement à l’acte, le paiement au parcours de soins et le salariat.
La capitation proprement dite correspond au versement au médecin d’une somme fixe par patient inscrit à son cabinet, indépendamment du volume de soins qu’il lui prodiguera.
En France, il n’y a pas de capitation stricto sensu, il existe des forfaits qui correspondent au versement d’une somme en contrepartie de la réalisation d’une mission ou d’un objectif. Ce type de financement est prévu dans le rapport Aubert pour faire partie des financements de certaines structures hospitalières (court séjour psychiatrique + CMP et services d’urgences), il est également prévu de les étendre secondairement à des structures coordonnées en ville dans le cadre de missions de santé publique. Toutefois, le forfait patientèle mis en place par la Convention 2016 s’approche grandement d’un paiement à la capitation, même s’il reste pour le moment limité en volume. Ce forfait tient compte de l’âge du patient, de ses pathologies (prise en charge ALD) et de ses caractéristiques sociales.
Le paiement à l’acte déclenche une rémunération directement liée au nombre de consultations réalisées. Il est le mode de financement quasi exclusif en médecine générale (83 % des revenus). L’équivalent hospitalier est la rémunération à l’activité (T2A) qui correspond à 100 % du financement. Ces systèmes sont basés sur une nomenclature d’actes validée par la Classification Commune des Actes Médicaux (CCAM) et mise à jour épisodiquement. Le rapport Aubert demande des mises à jour plus rapides de ces cotations et d’en revoir une grande partie.
Le salariat correspond au paiement forfaitaire pour un temps de travail donné, indépendamment de l’intensité de l’activité pendant ce temps de travail. Ainsi, certains économistes définissent le salariat comme une forme de forfait.
Le paiement au parcours de soins correspond à une dotation globale pour l’ensemble des acteurs de soins pour un épisode défini.
Trois protocoles expérimentaux ont débuté au premier trimestre 2019 (chirurgie de prothèse totale de hanche, chirurgie de prothèse totale de genou et colostomie gauche dans le cadre d’un cancer colique). Pour les équipes qui vont utiliser ce protocole, une enveloppe globale est prévue qui comprend l’ensemble des soins opératoires, de suivi post opératoires, de rééducation ou d’HAD éventuelle ou encore les éventuelles ré-hospitalisations.
Il concernera essentiellement les établissements hospitaliers et l’objectif est une amélioration de la coordination des soins et des échanges d’informations pour éviter les examens inutiles ou redondants.
La place de la médecine de ville dans ce mode de paiement reste à déterminer.
Les forfaits n’existent pour le moment qu’en médecine générale (forfait patientèle et forfait structure) mais ils ont vocation à représenter une part plus conséquente du financement des libéraux et des établissements en créant des forfaits pour la prise en charge de certaines pathologies chroniques comme le diabète ou l’insuffisance cardiaque.
En ville, ils seraient initialement individualisés par médecin généraliste puis engloberaient les infirmières et éventuellement d’autres professionnels de santé intervenant auprès d’un patient.
A l’hôpital, ils financeraient des équipes pluridisciplinaires dans le cadre de pathologies chroniques (insuffisance cardiaque, diabète).
Le forfait structure est l’un des points faibles de la médecine ambulatoire selon le rapport Aubert. Il prévoit donc de le renforcer pour permettre d’aider à la création de structures d’exercice coordonné et de financer directement une partie de la transformation numérique et des frais de fonctionnement d’un cabinet.
Le paiement à la qualité ou à la performance (ROSP) existe pour les généralistes depuis 2012. Elle est validée et remise à jour tous les 5 ans dans le cadre des accords conventionnels avec l’Assurance Maladie.
Cette mesure est intéressante dans sa philosophie mais sa mise en place crée de nombreux problèmes que nous aborderons dans un document spécifique : critères qualité retenus, critères de calcul des indicateurs opaques, défauts pour certaines populations de médecins en fonction de leur activité et notamment pour les remplaçants qui en sont simplement exclus.
Chaque mode de rémunération possède des avantages et des inconvénients en terme d’organisation des soins, de dépenses de santé et d’accès aux soins (Cf. annexe 1).
Ce qui est prévu pour les « autres » :
Pour les établissements hospitaliers, un panachage des différents modes de rémunération avec maintien de 50 % de T2A en 2022 est proposé. Le reste se décompose en forfaits, en parcours de soins, en capitation ou en dotation populationnelle pour certaines missions à vocation territoriale (psychiatrie et services d’urgences).
Pour les infirmiers, le développement d’une ROSP est prévu, en intégrant également les forfaits structure et pathologies chroniques.
Pour les kinésithérapeutes, le passage à un financement au forfait correspondant au nombre moyen de séances requises dans une indication est envisagé.
PROPOSITIONS
Pré-requis
Une rémunération accessible à tous les types d’exercice
Il existe une séparation entre les différents types d’exercice : salariat, libéral, exercice en groupe, exercice isolé. Pourtant, quels que soient les modes d’exercice, les missions du médecin généraliste restent globalement les mêmes.
Il est donc important que la diversification des modes de rémunération concerne l’ensemble des praticiens de médecine générale quel que soit le type d’exercice, ce qui risque d’être compliqué pour certaines rémunérations en cas d’installation isolée. Une organisation du travail en exercice coordonné reste néanmoins possible dans ce cas.
Une rémunération qui doit être également perçue par les remplaçants
Les contrats de remplacement prévoient que le remplaçant doit percevoir une rétrocession des honoraires perçus et à percevoir. Le médecin remplaçant est aussi acteur de la bonne marche du système de soins et du suivi des patients.
C’est pourquoi les remplaçants doivent avoir également accès à une rétrocession sur les autres modes de rémunération perçus par les médecins qu’ils remplacent dans la mesure de leur implication dans les différentes missions du médecin généraliste remplacé (forfaits et ROSP notamment), en particulier pour les remplacements longs, à intégrer au contrat.
Éviter les formalités administratives / simplifier le système
Le temps médical est de plus en plus réduit au profit d’une importante part administrative. La mise en place de nouveaux modes de rémunération doit être simple pour les médecins généralistes et permettre un suivi lisible de ces nouveaux modes de rémunération.
Le développement de plusieurs modes de rémunération selon les structures coordonnées risque de créer un mille-feuille administratif indigeste. Le soutien à la coordination devra nécessairement s’accompagner d’un effort de lisibilité et de répartition des financements selon les missions confiées à chaque structure.
Rappeler le rôle pivot du médecin généraliste
Quelle place pour le financement du généraliste dans un parcours de soins pour une prothèse totale de genou ?
Le rôle du médecin généraliste pourrait rapidement être limité à la portion congrue : l’adressage initial au spécialiste et, plus tard, la gestion du retour à domicile. De plus, il ne faudrait pas que le médecin traitant absorbe la majorité du travail administratif, comme cela se voit parfois dans la rédaction des bons de transport par exemple.
Comment prendre en compte le rôle spécifique du médecin traitant dans ce cadre et valoriser ses compétences ?
Si le financement à l’acte permet de reconnaître l’action du médecin selon son degré d’implication réel, l’intégration au forfait aurait le mérite de reconnaître le rôle central qu’il joue au travers d’une rémunération négociée. Encore faut-il que cette négociation ne se limite pas au partage de la portion marginale de l’enveloppe globale.
Un cadrage national au travers du Collège de la Médecine Générale pourrait être pertinent.
Quant au développement de financements forfaitaires dans le cadre du suivi de pathologies chroniques, la question est encore plus prégnante : les structures hospitalières défendront une médecine lourde, technique et dispendieuse, alors même que la prise en charge en médecine générale s’inscrit dans le temps, au travers d’interventions multiples et dans le cadre d’une prise en charge globale incluant d’autres motifs de consultation. Comment concilier ces visions divergentes ?
Là encore, une réflexion nationale menée par le Collège de la Médecine Générale pourrait permettre de créer une réponse équilibrée.
Cotation
Coter exactement chaque acte reste complexe du fait de la diversité des cotations (frottis de dépistage, ECG lors des consultations, échelle Hamilton ou autre moyen de diagnostic de dépression, visite longue, parage des plaies, contention de cheville, IK, etc.).
Les médecins cotent rarement les actes à leur juste valeur, soit par méconnaissance de la grille CCAM, soit par gêne à demander le paiement majoré d’une consultation à des patients parfois en détresse sociale (par exemple, le diagnostic de dépression grâce à l’échelle d’Hamilton équivaut à 69,12 €).
Une cotation trop simple ne permet pas de valoriser correctement les actes, en revanche une nomenclature trop complexe devient inutilisable soit par oubli soit par manque de temps. Par exemple, la consultation longue pour poly-pathologie ou consultation complexe désormais remplacée par les nouvelles consultations longues pour annonce de VIH, maladie neurodégénérative (G+MIS, G+PIV) était plus simple à coter.
Un travail de simplification des nomenclatures devra être mené afin de clarifier les possibilités de facturation dévolues au médecin généraliste.
Forfaits
Les forfaits permettent un financement « en l’absence du patient » pour la partie coordination et gestion à distance. C’est également un système de financement qui limite la multiplication des actes.
Ce type de rémunération nous parait particulièrement intéressant et à valoriser.
Intégrer des forfaits maladies chroniques pluri-professionnels induit de devoir travailler en coordination avec les autres professionnels de santé intervenant auprès du patient. C’est en pratique ce qui est fait dans la plupart des cas. Cette rémunération parait donc juste.
Pour être efficace, il faudra qu’elle soit claire (qui perçoit quoi et pour combien de temps, que se passe-t-il si changement de professionnel ?), qu’il y ait une adaptation pour le début d’exercice (forfait médecin traitant par trimestre ne se basant pas sur la patientèle déclarée l’année précédente), et que les versements soient réguliers (date connue des versements des rémunérations).
Structures coordonnées
Pour les équipes pluridisciplinaires souhaitant une structure coordonnée, des financements spécifiques existent au travers de l’accord cadre interprofessionnel (ACI) des maisons de santé. Les négociations sont encore en cours pour créer ce financement à l’échelle des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Il conviendra de mener le même type de discussion pour le financement de l’exercice coordonné en équipe de soins primaires (ESP).
Une réflexion devra également être menée sur le soutien des initiatives d’exercice coordonné : tant sur le plan méthodologique, qu’administratif et financier, l’engagement des leaders reste encore peu soutenu dans les phases d’amorçage et de démarrage des projets, y compris pour les maisons de santé.
Les propositions : à chaque mission son mode de rémunération
- Contribuer à l’offre de soins ambulatoires en assurant la prévention, le diagnostic, le traitement et le suivi du malade ainsi que l’éducation pour la santé : capitation et/ou forfait pour toutes ces missions, sauf pour le diagnostic et le traitement d’une pathologie aigüe qui relèvent de l’acte
- Orienter le patient dans le système de soins et le secteur médico-social : forfait maladie chronique ou patientèle
- Assurer la coordination des soins de ses patients : forfait patientèle et rémunération de coordination
- Veiller à l’application individualisée des protocoles et recommandations pour les affections de longue durée et contribuer au suivi des maladies chroniques : forfait maladie chronique
- Assurer la synthèse des informations transmises par les différents professionnels de santé : forfait de coordination
- Contribuer à des actions de prévention et de dépistage : forfait pour des missions extérieures à la structure de soins (ex : éducation dans un collège à proximité) ; capitation pour les actions dans la structure de soins (ex : éducation thérapeutique pour les patients de la structure)
- Participer à la permanence des soins : forfait et acte
- Contribuer à l’accueil et à la formation des stagiaires de deuxième et troisième cycles universitaires : forfait
- Contribuer à la recherche clinique : forfait
CONCLUSION
La pratique du médecin généraliste étant étroitement liée à son mode de rémunération, la révolution des soins primaires doit aussi passer par une refonte complète des modes de rémunération.
Les modes de rémunération doivent évoluer avec les conditions d’exercices des praticiens.
Une rémunération adaptée contribue à un exercice performant en prenant en compte l’ensemble des activités inhérentes à cette fonction de médecin généraliste.
Une rémunération adaptée est une des conditions pour rendre attractif l’exercice de la médecine en milieu ambulatoire selon les besoins du territoire.
Annexe 1 : tableau comparatif acte, capitation et salariat



[1] https://reagjir.fr/presse/remuneration-des-medecins-generalistes/